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Mägi Galeuchet : Pour les enfants malades, elle est l’infirmière magique.

Mägi Galeuchet et son chariot magique pour soigner les enfants par le rire et par le jeu. – Photo Lucas Vuitel

Meurtrie par son infertilité, la fondatrice du Chariot magique a donné naissance au plus beau projet de sa vie.

Son chariot magique franchit le seuil de la chambre juste avant Mägi Galeuchet. Poussant son gros ballot roulant rempli de doudous, de jouets, de bric et de broc, l’infirmière ambulante vient soigner les enfants par le jeu et un laps de temps protégé. Lumière! Le «Bonjour» mélodieux de Mägi illumine la pièce. Musique! La voici qui captive son auditoire de sa voix douce. Moteur! Elle embarque ses protégés dans un monde où ils ont la possibilité de se raconter dans toutes leurs émotions. Avec elle, leurs blessures seront pansées un instant.
Car c’est ça, la magie de Mägi Galeuchet: elle permet à ses patients de pédiatrie de s’évader par le jeu et d’utiliser leur imagination pour trouver les solutions qui les aident à mieux vivre l’hospitalisation. Sa façon à elle de soulager la douleur. La Chaux-de-Fonnière a fondé Le Chariot magique il y a 22 ans. Aujourd’hui, son idée a germé en une association qui oeuvre sur cinq sites de soins en Suisse romande.

Stérilité aliénante
Prisonnière de son infertilité, l’infirmière en pédiatrie vivait aliénée au verdict d’un destin qui avait fini par entraver sa vie professionnelle. «Ma stérilité débordait sur mon travail. J’étais incapable d’offrir à mes petits patients ce dont ils avaient besoin. Je n’arrivais pas à identifier ce qui me manquait précisément. Je me devais de combler ce vide en créant quelque chose de nouveau. Mais quoi?» Elle revit les questionnements vitaux de ses 40 ans.
La réponse lui est tombée dessus «comme ça, lors d’une promenade», dit-elle encore émue aujourd’hui. Deux mots envoyés par la providence, chassant un ciel noir pour augurer des aurores prometteuses. «Chariot» et «Magique». «Il ne restait plus qu’à réfléchir à la façon de le remplir et de le mettre en circulation», confie-t- elle avec un soupçon d’accent suisse-allemand, vestige de ses racines appenzelloises.
La gestation sera brève. Car Mägi Galeuchet a toujours porté cette idée en elle, restait à lui permettre d’éclore: ce qu’elle souhaite, c’est offrir du temps à ses patients. «C’est ça qui m’ennuyait. Je ne parvenais pas à leur donner le temps qu’ils méritaient.»
Elle raconte alors les soins en chambre interrompus par des téléphones, les ambulances forcément prioritaires qui mettent abruptement fin à un dialogue avec une famille. «Les instants offerts à un enfant sont pourtant primordiaux pour qu’il puisse se reconstruire. Et le jeu peut l’aider», explique la fondatrice du Chariot magique sans vouloir disqualifier le travail de ses collègues infirmières: «Nous sommes complémentaires. Des confidences ou des observations peuvent aider l’équipe soignante pour encore mieux l’accompagner par la suite.»

Révélation en Afrique
Temps, écoute et partage constituent l’ADN du Chariot magique. Mägi Galeuchet a fait de ces valeurs les roues de son chariot de soins. «Je connais les réalités de la vie», admet-elle modestement, elle qui a été écorchée très jeune par le divorce de ses parents.
Sa mère avalait les heures de travail pour l’élever. «Et le bain, c’était une fois par semaine. L’eau servait ensuite pour nettoyer l’étable.» Mägi ne joue pas les Cosette: «Mon éducation m’a appris à me contenter de l’utile.» Et puis il y a eu les soleils couchants d’Afrique, sous lesquels elle se brûlait de bonheur, entourée des peuplades les plus empathiques. Là-bas, Mägi a découvert cette culture du partage qu’elle a souhaité vivre elle aussi en Suisse. «J’ai appris à développer un véritable sens de l’autre. Un optimisme de pouvoir faire quelque chose avec trois fois rien. C’est ce que j’ai voulu transmettre à travers ce concept pédiatrique novateur.»

Et soudain, la plage
Elle illustre ses propos avec le voeu, de prime abord illusoire, de deux jeunes patients auquel elle a donné vie. «Ils souhaitaient que je les emmène à la plage.»
L’imagination force le cadenas de tous les impossibles, elle en est persuadée. Mägi Galeuchet a alors fait danser les canards en plastiques dans des bassines remplies d’eau, invitant ensuite les deux jeunes patients à s’immerger dans leur rêve. «Ils se sont baignés en slip!», s’amuse-t-elle à raconter.
Le bal des canards s’est agrandi avec la diététicienne puis avec la grande visite des médecins. «Tout le monde s’est pris au jeu. Nous fabriquions des cocktails et des chapeaux en papier avec ces garçons!» s’illumine-telle, le visage poupin.

La couronne en néonat’
Même en racontant la douleur des parents, Mägi Galeuchet garde ce naturel bienveillant dénué d’affliction exagérée. Eux aussi, elle les embarque dans son monde magique. Certains s’en souviennent, 20 ans après.
«Une maman est venue me remercier d’avoir simplement écouté sa souffrance alors que sa fille séjournait en néonatalogie. J’avais bricolé une petite couronne de princesse, garnie de pierres précieuses, que j’avais déposée sur sa couveuse… » C’est ça, la force de Mägi Galeuchet; la capacité d’absorber sans s’effondrer. Elle ne se l’autoriserait d’ailleurs pas. «Les enfants sont mes maîtres», se défend-elle presque gênée. «Ils me montrent qu’il y a toujours une petite lumière. Ils vivent l’instant présent. Je suis scotchée par leur immense force.»
Meera lui donne aussi de la force. Elle est le soleil de la famille depuis 25 ans. «Sa photo est arrivée par la poste. Une petite Indienne de 4 mois qui allait nous rejoindre, au terme de deux ans de procédure d’adoption.»
Aujourd’hui encore, l’histoire lui tire les larmes. «Lorsque nous avons quitté l’orphelinat, je ne savais pas vers quel avenir j’emmenais Meera. J’avais juste l’impression que nous arrachions un bébé à ses racines. C’était terrible…»
Elle se reprend dans un sourire gêné: «Aujourd’hui, je sais que nous avons fait juste. Notre fille est magnifique.» Elle en remercie presque le destin: «Sans ma stérilité, je n’aurais peut-être pas eu autant d’énergie pour m’engager dans ma vie de maman et pour les enfants malades.»

■ Anabelle Bourquin

Source: Arcinfo

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